Wednesday, December 20, 2006

Quelques réflexions suite au Salon Cultural Chile-Bélgica 2006

Quelques réflexions suite au Salon Cultural Chile-Bélgica 2006

Par: Marinette Mormont, historienne

Le Chili a avant tout été terre d’accueil, terre d’immigration. Espagnols puis Anglais, Allemands, Italiens, Français se sont succédés, arrivant par milliers durant tout le 19ème siècle. Mais de terre d’accueil, le Chili est devenu une terre que l’on quitte, une terre que l’on est contraint de quitter. Sur les 3000 chiliens vivant en Belgique, 1200 sont à Bruxelles. La majorité sont arrivés dans les années septante et quatre-vingt, poussés dehors par le chacal enragé.

Depuis que je suis allée au Chili, je me demande ce que c’est de vivre en Belgique avec, dans la tête, un tel pays. Ce géant enfermé entre une cordillère déchiquetée et un océan déchaîné. Ce géant fait de montagnes, déserts truffés de mines, glaciers, forêts, écumes. Une telle immensité. Une telle aridité. Et puis, surtout, une telle histoire. Une histoire qui se raconte peu mais que l’on entend, tel un bruissement, à travers une allusion, à travers un morceau de Victor Jara, à travers un silence…

J’ai connu des Chiliens qui adoraient notre petite Belgique, sans doute parce qu’elle se présentait à eux comme un petit et doux cocon. D’ailleurs, de retour au Chili, ils ne juraient que par la toute petite et toute verte Chiloe - ses vaches qu’on jette à la mer pour les faire passer d’une île à l’autre, ses églises en bois, ses esprits pervers et tordus. Pablo Neruda disait, beaucoup mieux que moi, que l’Océan Pacifique était trop grand pour rentrer dans une carte, trop grand pour entrer où que ce soit, c’est pourquoi on l’avait mis face à sa fenêtre. Comment font les Chiliens de Belgique pour faire rentrer le Chili quelque part ?...

Et les enfants de l’exil, deuxième génération de Chiliens en Belgique, eux aussi doivent bien en faire quelque chose de ce géant. Impossible de le ranger dans un tiroir...

La culture chilienne en Belgique, ce sont des histoires qui se racontent en dansant, en images, en chantant. A travers les traditionnels rythmes endiablés dansés par de jeunes Chiliens de la seconde génération, joignant ainsi leurs corps à cette terre si lointaine ; à travers une photographie de cette terre dont ils rêvent, dont ils ont tant entendu parler, une photographie qui poursuit les histoires, celles des vivants et celles des morts ; à travers une mélodie de Violeta Parra.

Ce sont des histoires teintées de nostalgie, de cette double appartenance, qui doit susciter ambivalences, divisions, sentiments d’entre-deux. Le sentiment, peut-être, de n’être ni d’ici ni de là-bas, mais qui révèle en fait une nouvelle identité.

Je me demande comment les Chiliens de Belgique ont retrouvé le Chili des années nonante et comment leurs enfants ont découvert ce pays fantôme. Ont-ils été soufflés de voir, à côté de la Moneda, la statue érigée en l’honneur de Salvador Allende, debout face à Eduardo Frei, tels deux garants de la nouvelle démocratie ? Ont-ils été ébranlés face à ce curieux mélange entre conservatisme et ultralibéralisme, entre tradition et modernité ? Ont-ils parfois tressailli en respirant les relents de répression lors des manifestations d’étudiants, celles du peuple Mapuche ou encore celles exigeant la libération des prisonniers politiques toujours captifs ? Ont-ils souri tendrement voyant tous ces amoureux, s’embrassant langoureusement sur le cerro Santa Lucia ?

Je me demande aussi comment ils ont apprivoisé Bruxelles, comment ils se sont appropriés ce pays qui est le mien et qui est devenu le leur. Je me demande enfin comment mon pays, comment notre pays, les recevrait aujourd’hui…

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